J’ai eu la chance d’échanger avec Marc-Antoine Lacroix, le CTO de Qonto. Marc-Antoine m’a dévoilé tout ce qu’il faut savoir sur les néobanques B2B : comment construire un core banking system, relever les défis réglementaires de la finance ou se lancer dans un pays très rapidement.
Léonie : Peux-tu te présenter s’il te plait ?
Marc-Antoine Lacroix : Je suis CTO chez Qonto, j’ai rejoint l’équipe il y a un an et demi. En sortant d’école, j’ai co-fondé en tant que CTO une première entreprise, que l’on a vendue. Par la suite j'ai créé une deuxième entreprise dans l'immobilier puis rejoint une troisième en tant que CTO. A chaque fois, je me posais la même question : comment faire grandir une équipe technique tout en restant efficace et en délivrant de la qualité ?
À cette époque, je mettais en place les méthodes agiles comme le Scrum et le Kanban, qui ne me satisfaisaient pas complètement. Je suis remonté aux origines du mouvement agile dont une des sources est le Toyota Production System. Ce modèle m’a tellement passionné que je suis allé visiter des usines en France et au Japon, en me demandant ce que l’on pouvait transposer du monde industriel au monde de la tech.
J'ai alors commencé à coacher des dirigeants de scale-ups comme Steve Anavi, un des fondateurs de Qonto et leur challenge m’a donné envie de les rejoindre.
Est-ce que tu peux me raconter l'histoire de Qonto, d’où vient l’idée ?
Qonto a été fondé par Steve Anavi et Alexandre Prot. Lors de leur première expérience entrepreneuriale - une entreprise de cigarettes électroniques -, ils ont rencontré une multitude de frustrations avec leur banque. Après avoir cédé cette entreprise, ils ont décidé de s’attaquer à ces problèmes et ont créé Qonto, le service dont ils avaient rêvé en tant qu’entrepreneurs.
Est-ce que tu peux nous parler du produit ?
Qonto est la néobanque des entreprises et des indépendants. Nous offrons un compte courant , des cartes de paiement et tous les outils dont peut avoir besoin un dirigeant pour lancer et gérer son activité, qu’il soit un indépendant, une petite, une moyenne ou une grande entreprise.
Concrètement, par rapport aux banques traditionnelles nous proposons :
Quel est votre élément différenciant ?
Je vois trois forces principales :
Qonto en chiffres, qu’est-ce que c’est ?
Nous avons lancé le produit il y a un peu plus de 2,5 ans. Depuis nous sommes passés de 0 à plus de 65 000 clients, nous avons levé 136 millions d'euros, et nous avons grandi l’équipe d'une dizaine d’employés à plus de 200 personnes. Nous avons également ouvert 3 nouveaux marchés : l’Italie, l'Allemagne et l'Espagne.
Qu’est-ce qui est le plus dur pour Qonto ? Quels sont les enjeux, aujourd’hui ?
Le plus gros enjeu chez Qonto – et je le dis avec mon biais de CTO –, c’est de réussir à répliquer, en mieux et en quelques années, ce qu’ont fait des banques traditionnelles en 30 ans.
Nous devons organiser les équipes tech et produit pour délivrer en continu de la qualité tout en doublant de taille tous les ans. Il faut donc réussir dans un marché hypertendu à recruter les meilleurs ingénieurs, créer le meilleur environnement pour eux et que ça se traduise par les meilleures fonctionnalités pour nos clients.
Quelle est la recette pour se lancer dans des nouveaux pays très rapidement sachant que la réglementation est contraignante et varie en fonction des États ?
Nous avons la chance de faire partie de l’Union européenne : l’agrément que nous avons obtenu en France est valable dans tous les autres pays de la zone Euro
Nous avons décidé de dupliquer d’abord le même produit dans chacun des pays pour aller vite et de l’adapter dans un deuxième temps en fonction des retours des clients et des spécificités locales. Cette stratégie nous a permis de séduire plusieurs milliers d’entreprises dans ces trois pays en quelques mois seulement.
Qu’est ce que le core banking system ?
Un core banking system (CBS), ce sont toutes les couches basses qui nous permettent d’opérer une banque et qui permettent à un client d’effectuer des opérations bancaires. Il y a différents types d'opérations : recevoir de l'argent via des transferts, émettre des transferts, payer avec sa carte ou paramétrer des débits automatiques. Par exemple, lorsque vous payez votre facture EDF chaque mois, vous signez un mandat et êtes prélevés mensuellement. Cet ensemble d'opérations passe par le CBS. Nous devons aussi garder une trace de chacune de ces transactions pour le régulateur.
Quelle est votre stack technique ?
Nous avons obtenu la licence d'établissement de paiement et avons pu développer notre propre CBS. Nous opérons nous-mêmes les transferts, les paiements par carte et l’onboarding légal de nos clients.
Ce core banking system, nous l’avons construit en 1 an, en utilisant le langage Go. Et nous utilisons Ruby pour la partie applicative et Javascript pour les interfaces web. Côté mobile, nous avons décidé de faire du natif, avec Swift côté IOS et Kotlin côté Androïd.
En ce qui concerne l'infra, nous sommes hébergés à 100% chez AWS, ce qui nous a permis de respecter la norme PCI DSS, que nous avons besoin de respecter en tant qu'établissement qui gère des données sensibles.
Quelle est ta vision du core banking de demain ?
Le core banking de demain est créé par une entreprise qui apprend des erreurs de ses prédécesseurs, et qui construit un core banking agile et scalable.
Nous sommes capables d’innover beaucoup plus vite que les banques traditionnelles parce que nous ne sommes pas ralentis par la dette technique. Dans les banques traditionnelles, les core banking existent depuis 30 ans. Ils ont été “améliorés” par surcouches successives. Les concepteurs de ces applications sont partis depuis longtemps. Les évolutions sont risquées et donc lentes.
Notre stratégie est d’investir du temps dès maintenant pour s’assurer de ne pas créer de dette technique trop importante ou pour l’éliminer après l’avoir créée. Tout est documenté et testé pour garder la connaissance du fonctionnement du CBS et être alerté dès que nous introduisons un bug.
Y a-t-il des enjeux réglementaires auxquels vous faites face aujourd'hui ?
Bien sûr ! Nous sommes un établissement de paiement et devons répondre à de nombreuses questions de compliance : comment faire du cantonnement chez Qonto ? Comment s’assurer qu’il n’y a pas de fraude sur la plateforme ?
Ensuite, il y a des enjeux qui se rajoutent en permanence. Par exemple, le 14 septembre, il y a eu l'entrée en vigueur de la réglementation PSD2. Elle s’inscrit dans le cadre de l’open banking et oblige les acteurs de la finance à fournir une API accessible pour des tiers, comme Budget Insight, Linxo ou Bankin par exemple. Il a fallu faire des ajustements pour répondre à cette directive.
Il y a également des nouvelles réglementations EPC à l’échelle européenne qui régissent les relations entre banques et évoluent régulièrement. La dernière est entrée en vigueur en novembre.
Enfin, il y a PCI DSS qui concerne tous les acteurs qui gèrent les informations de cartes de crédit. Pour cela nous nous posons les questions suivantes : Comment est-ce que notre architecture peut isoler les endroits où passent les informations sensibles, le PAN, le numéro de carte de crédit et autres ? Il faut s’assurer que les informations des utilisateurs processées par Qonto sont en sécurité.
Est-ce que la réglementation va dans le sens de l'assouplissement ?
Je ne pense pas, mais c'est compréhensible. Une néobanque a d’énormes responsabilités et c'est normal que les nouveaux acteurs doivent prouver dans le temps leur robustesse et leur capacité à respecter les demandes des régulateurs.
Pouvez-vous offrir tous les services que les acteurs traditionnels proposent aujourd'hui ?
Il reste une fonctionnalité principale que nous ne proposons pas pour le moment : le crédit. Cela nécessite la licence bancaire qui est différente de notre licence d'établissement de paiement. A ma connaissance, aucun acteur indépendant d'une banque traditionnelle ne l'a obtenue depuis les années 60. Nous avons pour ambition d’obtenir cet agrément en 2020.
Du coup, pourriez-vous envisager des partenariats avec des banques, en attendant, pour offrir des services de crédit par exemple ?
Pour le moment, nous n'envisageons pas de le faire pour le crédit. En revanche, nous avons des partenariats avec des banques traditionnelles car c’est un milieu très interdépendant. En ce moment, nous implémentons la possibilité de recevoir des virements Swift sur le réseau international, non plus le réseau SEPA. Pour cela, nous collaborons avec des banques qui sont têtes de file comme BNP Paribas.
Peux-tu nous dévoiler de futures innovations ?
Nous mettons de plus en plus l'accent sur les outils intelligents qui facilitent la comptabilité. Nous permettons d’associer facilement une transaction à un reçu ou une facture par exemple. Avec Qonto, lorsque vous payez par carte au restaurant, vous pouvez prendre en photo le ticket de caisse et l’associer immédiatement à la transaction. Nous avons également ajouté une fonctionnalité d’OCR : une analyse d'images qui détecte le montant de TVA à déclarer. Nous avons envie d'investir davantage sur les fonctionnalités de smart accounting dans le futur.
Pour finir, quelle est ta vision du marché, des néo-banques et de la Fintech plus largement ?
Ce qui se passe sur le marché bancaire est passionnant. Les acteurs traditionnels ont réussi à construire un socle énorme dans une industrie extrêmement régulée où les données des utilisateurs sont très sensibles.
Aujourd’hui il y a une opportunité incroyable pour les entrepreneurs sur ce marché. D’un côté, la régulation, à commencer par PSD1 depuis 2006, permet à de nouveaux acteurs de devenir établissement de paiement. D’autre part, l’écosystème entrepreneurial français est aujourd’hui beaucoup plus mature. Les entrepreneurs de la fintech veulent profondément changer un marché et pas seulement faire un coup en revendant leur entreprise.
Nous avons tous les ingrédients pour aller vite mais il reste beaucoup à faire. Laissez-nous 10 ans et les FinTechs d’aujourd’hui seront devenues des acteurs majeurs de l’industrie.
Merci aux lecteurs de cette quatrième chronique Fintech. N'hésitez pas à nous partager vos points de vue en commentaire ci-dessous. Rendez-vous en mars pour l'interview de Florent Tardivel, Head of Growth de Stripe en France.